mardi 1 février 2011

Pourquoi je ne marcherai pas...Kamel Daoud. 27 janvier 2011


Kamel Daoudi membre du Conseil National de la LADDH donne ses raisons pour ne pas participer à la marche du 12-02-2011, écoutons-le:
http://www.algerie-laddh.org/image/logo.jpg
Pourtant je suis militant de la LADDH. La décision d’engager la Ligue dans une démarche précipitée sans concertation peut être lourde de conséquences.
Il n’est pas question pour les Algériens de faire du « copier-coller » de ce qui se passe en Tunisie. La situation y est confuse : il faudrait être naïf pour croire que c’est la rue qui a « dégagé » Benali. C’est sûrement plus compliqué que cela et les questions que l’on se pose sont :
Benali était il vraiment en danger quand il s’est enfui ? Qui l’a conseillé dans ce sens, voire qui l’a obligé ? Rappelons-nous comment est parti Chadli en décembre 1991. Qui peut croire aujourd’hui que Chadli était parti (« dégagé ») de son plein gré ?
Comment était organisé le pouvoir autour de Benali ? Il est trop facile de croire qu’il était seul aux manettes et qu’il n’avait de comptes à rendre à personne en dehors de sa femme. Alors ? Les autres qui sont-ils ? On sait seulement que le patron de l’armée avait refusé de faire tirer la troupe contre la population, du moins le dit-il. Et il commence à se comporter en tribun, en parlant au milieu de la foule.
Dans quel état est aujourd’hui l’opposition tunisienne, démocratique mais aussi islamiste ? Long est encore le chemin pour parvenir à une coalition de l’opposition et construire l’édifice de la démocratie en Tunisie. Ils sont probablement sur la bonne voie avec un soutien fort de la communauté internationale. Mais rien n’est encore joué, loin de là.
Finalement on est en droit de penser que tout peut basculer en Tunisie, l’armée veille !
De toutes façons il est erroné de croire que le train de la démocratie suit les routes nationales depuis Tunis. A Alger, la presse s’agite et, autour de la LADDH, quelques associations plus ou moins représentatives et quelques individualités se sont rencontrées, ont fini par reconnaître l’importance stratégique de l’état d’urgence dans le dispositif du pouvoir autoritaire et ont décidé de marcher dans la rue pour protester. Et après ? Elles auraient pu structurer un dialogue approfondi sans se presser, coaliser d’autres forces, se concerter avec des partis politiques plus ou moins démocratiques. Dans la réalité, de longues heures de dialogue, plusieurs rencontres, plusieurs jours sont nécessaires pour éviter que, précipitamment, chacun avec ses propres arrières pensées reparte au bout de 2 heures de discussion, la fleur au fusil, avec un communiqué-appel qui apparaît immédiatement sur le mur face book d’un participant qui ne représente que lui-même (ou peut être ceux qui avancent masqués et qui ne sont pas bêtes) immédiatement après le flop de la marche du RCD.
Le Ministre de l’intérieur va-t-il autoriser cette marche ? Dans sa démarche actuelle il est presque certain qu’il l’interdira parce qu’il a déjà interdit celle du RCD avec une armada de policiers, que l’état d’urgence est là et que, pour mémoire, il avait même refusé que le Congrès de la LADDH se tienne pourtant dans une salle fermée. Si, par hasard, il accordait son autorisation de marcher dans la capitale cela signifierait que le pouvoir, le vrai celui que personne ne connaît, a opéré un changement significatif de stratégie dans sa gestion autoritaire de la société et vis-à-vis de la LADDH qui a jusque là clairement affirmé son opposition au régime autoritaire en place. Et dans ce cas on est en droit d’estimer que la manipulation, la déstabilisation du camp démocratique réel (celui qui est accroché aux revendications réelles de la population) est encours et que la LADDH est tombée dans le piège avec une candeur désarmante. Le pouvoir aurait-il allumé un contre feu face aux revendications légitimes de la population?
En cas de refus d’autoriser la marche, comment va se comporter cette coordination ? Va-t-elle passer outre ? Quelles sont les capacités des associations de la société civile pour organiser une marche afin qu’elle reste pacifique, sous des slogans clairs préalablement définis et un service d’ordre capable de tenir la population et de bloquer des agitateurs violents. Sera-t-elle suivie par la population ? La question se pose car nous connaissons la réaction de la police et des forces anti émeutes. Qui prendra la responsabilité d’envoyer nos jeunes à l’abattoir ?
En matière de transition démocratique, contrairement à nos amis tunisiens dont nous saluons le courage et dont nous encourageons la démarche, les forces démocratiques algériennes ont de fait une expérience de 24 ans (depuis octobre 88) …et 200 000 morts. Elles ne manquent ni de lucidité ni de réalisme et se méfient des apprentis sorciers qui voudraient nous jeter dans l’aventure.
C’est pourquoi cette marche si elle avait lieu, ce sera sans moi !


Professeur Kamel DAOUD
Membre du Conseil National


http://www.algeria-watch.org/fr/article/pol/initiatives/daoud_position.htm